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Destinations: La San Juan - Une Tailwater - Réglementation

La San Juan: une "tailwater"

Photo de la rivière San Juan, Nouveau-Mexique, USA
La San Juan vue du lac Navajo

Pourquoi les truites de la San Juan sont-elles si nombreuses et de si belle taille? À cause d'un barrage. Un barrage? Et oui, un barrage hydroélectrique, s'il est correctement exploité, n'est pas obligatoirement synonyme de destruction de l'environnement, d'extermination de la truite. Aux Etats-Unis, les parcours de pêche situés à l'aval des barrages ont même un nom spécifique. On les appelle des "tailwaters", eaux de queue en Français.

Pourquoi ces tailwaters sont-elles fameuses? Dans le cas de la San Juan, c'est très simple à comprendre.

La San Juan prend sa source dans les Rocheuses. Le Nouveau-Mexique se situe au sud du Colorado, au nord du Mexique, à l'ouest du Texas et à l'est de l'Arizona. La région où se situe le plus fameux parcours de la San Juan est appelée "The Four Corners", littéralement "Les Quatre Coins". Parce que c'est le seul endroit des Etats-Unis où les frontières de quatre Etats se croisent à angle droit, en formant quatre coins (dans le sens des aiguilles d'une montre, Colorado, Nouveau-Mexique, Arizona et Utah). Le Nouveau-Mexique est un état assez peu connu, que ce soit des Européens ou, même, des Américains qui confondent souvent Nouveau-Mexique avec Mexique... Santa Fe en est la capitale. C'est au Nouveau-Mexique que seraient tombés les premiers extra-terrestres (Roswell).Que dire d'autre? Que le Nouveau-Mexique fut le site choisi pour le premier essai de la bombe atomique. Pourquoi? Parce que dans son immense majorité, le Nouveau-Mexique est un vaste désert. Alors, une rivière à truite au beau milieu du désert, c'est assez surprenant. Il y a d'autres très bonnes rivières à truite au Nouveau-Mexique. Mais le problème, vous l'imaginez, c'est le soleil et la chaleur. Et la San Juan, au Nouveau-Mexique, n'était pas fameuse pour la pêche de la truite. Elle connaissait de très fortes crues à la fonte des neiges, et un étiage terrible à l'inverse.

Un barrage fut créé dans les années 60, afin de donner de l'eau à la population locale, les Indiens Navajo, et de produire de l'électricité. Ce barrage eut un effet extraordinaire sur la rivière en aval. L'eau qui sort du barrage vient du fond du lac. C'est une eau glacée qui sort à environ 7°C à longueur d'année. L'eau est donc considérablement plus fraîche qu'elle ne l'était naturellement. Ce qui a plu à la truite et à un tas de petits invertébrés dont se nourrit la truite. Mais ce n'est pas tout.

Nous savons tous fort bien qu’un barrage sur une rivière à truite n'est en principe pas une bonne chose. En amont immédiat du barrage, il y a un lac. Ce lac remplace la rivière sur une certaine longueur, et noie souvent des frayères à truite. C'est donc mauvais pour la reproduction de la truite.

Ensuite, l'eau de surface chauffe en été. Il en résulte, outre une augmentation de l'évaporation et une diminution du débit de la rivière, un changement de qualité d'eau. Des espèces, jusque-là ignorées, colonisent le plan d'eau: gardons, brochets, perches, carpes et autres poissons blancs. Ce qui n'est pas forcément fameux pour la truite.

En aval de l'ouvrage, si l'exploitant du barrage opère par lâchers d'eau, la situation est tout aussi mauvaise. C'est malheureusement souvent le cas en France. Le barrage sert à produire de l'électricité. Quand la demande est faible, on retient l'eau au maximum en ne laissant passer qu'un débit que l'on appelle réservé. Il s'agit d'un débit minimum calculé pour qu'il reste en principe assez d'eau dans la rivière pour la survie des espèces. Puis, tout à coup, on lâche de l'eau pour faire tourner les turbines et produire de l'électricité. En aval, le niveau d'eau monte brutalement. Cette brusque montée de l'eau dérange la faune de la rivière, quand elle ne la tue pas tout simplement. Cette montée brutale est elle-même accompagnée d'une chute de la température, laquelle, on s'en doute, est néfaste à cette faune et à sa reproduction. Ces hausses et baisses du niveau d'eau se produisent parfois plusieurs fois au cours d'une même journée, ruinant par là même la pratique de la pêche. Et elles n'ont rien à voir avec les conditions météorologiques du moment: la rivière peut être basse alors qu'il pleut depuis des jours ou, au contraire, être haute alors qu'il fait beau depuis des semaines. Il est donc impossible de prévoir si la rivière va être pêchable ou non. Enfin, ces lâchers provoquent parfois des accidents avec des personnes qualifiées d'imprudentes pour s'être laissées surprendre par la brusque montée de l'eau. Comme s'il s'agissait d'un phénomène naturel, normal...

Sur la San Juan, l'exploitant du barrage tend à turbiner au fil de l'eau. Je ne veux pas dire par là qu'il n'y a pas de variations du débit et donc du niveau de l'eau. Mais ces variations sont plus dues aux conditions climatiques qu'aux besoins ponctuels en électricité. C'est à un tel point vrai que le débit de la rivière est plus ou moins programmé d'avance, semaine après semaine, pour toute l'année. Bien sûr, le programme n'est pas respecté à la lettre. Certaines années sont plus pluvieuses que d'autres, il faut bien tenir compte des précipitations réelles. C'est ainsi que de très fortes pluies en août 1999 ont obligé à lâcher beaucoup plus d'eau, au point qu'en septembre, le débit était identique à celui que l'on rencontre à la fonte des neiges, soit environ 11 fois le débit en période normale d'étiage! Cela dit, cette régulation du débit, sans lâchers intempestifs, par le barrage est très profitable à la rivière en aval. La rivière est devenue une véritable usine alimentaire. Et les truites en profitent, bien entendu.

Grâce à une exploitation intelligente, le barrage, qui aurait pu être une calamité, est devenu une bénédiction pour la rivière. Le parcours situé immédiatement à l'aval du barrage est une pure merveille. Et il est possible de pêcher dans l'eau sans courir le risque d'une noyade provoquée par un lâcher d'eau intempestif, comme c'est parfois malheureusement le cas en France. Cette exploitation intelligente du barrage n'est pas tout. Elle est accompagnée d'une gestion intelligente de la pratique de la pêche...

Photo de pêche de la truite à la mouche sur la rivière San Juan, Nouveau-Mexique, USA
Avant le 11 septembre 2001, il n'était pas interdit de pêcher l'aval immédiat du barrage
car il n'y a pas de risque de brusques lâchers d'eau
de la part de l'exploitant de la centrale hydroélectrique.
Ce secteur est en "no-kill": il possède de très grosses truites.